Elle est devenue emblématique des mouvements pour la libération des femmes, pour l’
humanisme
en général, et l’importance du rôle qu’elle a joué dans l’histoire des
idées a été considérablement estimé et pris en compte dans les milieux
universitaires.
Montauban
Née le 7 mai 1748 à
Montauban,
Marie Gouzes a été déclarée fille de Pierre Gouze, bourgeois de
Montauban qui était boucher – qui n’a pas signé au baptême – et d’Anne
Mouisset, fille de drapier, mariés en 1737. Cette dernière, née en 1712, était la filleule de
Jean-Jacques Lefranc de Pompignan, avec qui elle aurait entretenu une relation amoureuse. Selon le député
Jean-Baptiste Poncet-Delpech et d’autres,
«tout Montauban» savait que Lefranc de Pompignan était le père adultérin de la future Marie-Olympe de Gouges.
En 1765, à l’âge de seize ans, Marie Gouze fut mariée à un traiteur
parisien, Louis-Yves Aubry, officier de bouche de l’Intendant, et
probablement un important client de la boucherie familiale des Gouze.
Quelques mois plus tard, la jeune femme donna naissance à un fils,
Pierre. Son mari expira peu de temps après. Déçue par une expérience
conjugale qui ne lui avait guère apporté de bonheur, elle ne se remaria
pas, qualifiant le
mariage religieux de
«tombeau de la confiance et de l’amour».
Elle portait couramment les prénoms de «Marie-Olympe» (signant
plusieurs textes ainsi) ou plus simplement d’«Olympe», ajoutant une
particule à son patronyme officiel «Gouze» que l’on trouve parfois
écrit «Gouges», graphie adoptée par certains membres de sa famille
dont sa sœur aînée
Mme Reynard, née «Jeanne Gouges», épouse d’un médecin.
Rien ne la rattachant à Montauban, sinon sa mère qu’elle aida financièrement par la suite, elle rejoignit sa sœur aînée à
Paris.
Au début des années 1770, elle était à Paris avec son fils à qui elle
fit donner une éducation soignée. Pendant ce séjour à la Cour, elle
changera de nom: elle ne sera plus Marie Gouze mais Olympe de Gouges.
Paris et le théâtre
Elle avait rencontré un haut fonctionnaire de la marine, Jacques
Biétrix de Rozières, alors directeur d’une puissante compagnie de
transports militaires en contrat avec l’État. Lorsqu’il lui proposa de l’épouser, elle refusa et leur liaison dura jusqu’à la
Révolution. Grâce au soutien financier de son compagnon, elle put mener un train de vie bourgeoise, figurant dès 1774 dans l’
Almanach de Paris ou annuaire des personnes de condition. Elle demeura rue des Fossoyeurs, aujourd’hui
rue Servandoni, au
no 18-22.
Issue par sa mère de la bourgeoisie aisée de Montauban, Olympe de
Gouges avait reçu une éducation qui lui permit de s'adapter aux usages
de l'élite parisienne. Dans les salons qu’elle fréquentait, elle fit la
rencontre de plusieurs hommes de lettres, et elle s'essaya également à
l'écriture. Sa filiation supposée avec Lefranc de Pompignan, dramaturge
dont la pièce
Didon avait été un grand succès, est également un
mobile probable à son entrée dans la carrière littéraire. Elle
revendiquait l’héritage de son talent dramatique.
Support privilégié des idées nouvelles, le théâtre demeurait à cette époque sous le
contrôle étroit du pouvoir.
Olympe de Gouges monta sa propre troupe, avec décors et costumes.
C'était un théâtre itinérant qui se produisait à Paris et sa région. Le
marquis de La Maisonfort raconte dans ses
Mémoires comment, en 1787, il racheta le « petit théâtre » de
Mme de Gouges, conservant d'ailleurs une partie de la troupe dont faisait partie le jeune Pierre Aubry, son fils.
Indépendamment de son théâtre politique qui fut joué à Paris et en
province pendant la Révolution, la pièce qui rendit célèbre Olympe de
Gouges est
l’Esclavage des Noirs, publié sous ce titre en
1792 mais inscrite au répertoire de la
Comédie-Française le 30 juin
1785 sous le titre de
Zamore et Mirza, ou l’heureux naufrage.
Cette pièce audacieuse dans le contexte de l'Ancien régime, avait été
acceptée avec une certaine réticence par les comédiens du Théâtre
français qui étaient dépendants financièrement des protections que leur
accordaient les gentilshommes de la chambre du roi.
La pièce de
Mme de Gouges, dont le but avoué était d’attirer l’attention publique sur le sort des
Noirs esclaves des colonies, mêlait modération et subversion dans le contexte de la monarchie absolue. Le
Code Noir
édicté sous Louis XIV était alors en vigueur et de nombreuses familles
présentes à la cour tiraient une grande partie de leurs revenus des
denrées coloniales, qui représentaient la moitié du commerce extérieur
français à la veille de la Révolution. En septembre 1785, Olympe de
Gouges qui s’était plainte de passe-droits et craignait de voir sa pièce
reléguée aux oubliettes, se plaignit des comédiens. L’un d’eux,
Florence, se sentit insulté et s’en plaignit à son entourage. Le baron
de Breteuil et le maréchal de Duras, gentilshommes de la Chambre et
ministres, se saisirent de l'occasion pour s'accorder à envoyer
Mme
de Gouges à la Bastille et retirer la pièce anti-esclavagiste du
répertoire du Français. Grâce à diverses protections, notamment le
chevalier Michel de Cubières dont le marquis son frère était un favori de Louis XVI, la
lettre de cachet fut révoquée.
Avec la
Révolution française, la Comédie-Française devint plus autonome grâce notamment à
Talma et
Mme
Vestris, et la pièce sur l’esclavage, inscrite quatre ans plus tôt au
répertoire, fut enfin représentée. Malgré les changements politiques, le
lobby colonial restait très actif, et Olympe de Gouges, soutenue par
ses amis du
Club des Amis des Noirs,
continua à faire face aux harcèlements, aux pressions et même aux
menaces. En 1790, elle composa une autre pièce sur le même thème,
intitulée
le Marché des Noirs (1790).
Elle avait par ailleurs publié en 1788 des
Réflexions sur les hommes nègres (1788), qui lui avaient ouvert la porte de la
Société des amis des Noirs dont elle fut membre. Au titre d’abolitionniste, elle est également citée par l’
abbé Grégoire, dans la « Liste des Hommes courageux qui ont plaidé la cause des malheureux Noirs » (1808).
« L’espèce
d’hommes nègres, écrivait-elle avant la Révolution, m’a toujours
intéressée à son déplorable sort. Ceux que je pus interroger ne
satisfirent jamais ma curiosité et mon raisonnement. Ils traitaient ces
gens-là de brutes, d’êtres que le Ciel avait maudits ; mais en avançant
en âge, je vis clairement que c’était la force et le préjugé qui les
avaient condamnés à cet horrible esclavage, que la Nature n’y avait
aucune part et que l’injuste et puissant intérêt des Blancs avait tout
fait».
La Revolution
En 1788, le Journal général de France publia deux brochures politiques de
Mme de Gouges, dont son projet d’impôt patriotique développé dans sa célèbre
Lettre au Peuple. Dans sa seconde brochure, les
Remarques patriotiques, par l’auteur de la Lettre au Peuple
, elle développait un vaste programme de réformes sociales et
sociétales. Ces écrits furent suivis de nouvelles brochures qu’elle
adressait épisodiquement aux représentants des trois premières
législatures de la Révolution, aux Clubs patriotiques et à diverses
personnalités dont
Mirabeau,
La Fayette et
Necker qu’elle admirait particulièrement.
Ses propositions étaient proches de celles des hôtes d'
Anne-Catherine Helvétius, qui tenait un
salon littéraire à Auteuil, et où l’on défendait le principe d’une
monarchie constitutionnelle. En 1790, elle s'installa elle-même à Auteuil, rue du Buis et y demeura jusqu'en 1793. En relation avec le
marquis de Condorcet et son épouse née
Sophie de Grouchy, elle rejoignit les
Girondins en 1792. Elle fréquentait les
Talma, le
marquis de Villette et son épouse, également
Louis-Sébastien Mercier
et Michel de Cubières, secrétaire général de la Commune après le 10
août, qui vivait avec la comtesse de Beauharnais, auteur dramatique et
femme d’esprit qui tenait un salon très intéressant rue de Tournon. Avec
eux, elle devint républicaine comme beaucoup de membres de la société
d’Auteuil qui pratiquement tous s’opposèrent à la mort de
Louis XVI. Le 16 décembre 1792,
Mme de Gouges se proposa d'assister
Malesherbes dans la défense du Roi devant la Convention, mais sa demande fut rejetée avec mépris.
Elle considérait que les femmes étaient capables d’assumer des tâches
traditionnellement confiées aux hommes et, dans pratiquement tous ses
écrits, elle demandait qu’elles fussent associées aux débats politiques
et aux débats de société. S’étant adressée à
Marie-Antoinette pour protéger
«son sexe» qu’elle dit malheureux, elle rédigea une
Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, calquée sur la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,
dans laquelle elle affirmait l’égalité des droits civils et politiques
des deux sexes, insistant pour qu’on rendît à la femme des droits
naturels que la force du préjugé lui avait retirés. Ainsi, elle
écrivait :
«La femme a le droit de monter sur l’échafaud; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune.»
La première, elle obtint que les femmes fussent admises dans une
cérémonie à caractère national, «la fête de la loi» du 3 juin 1792
puis à la commémoration de la prise de la Bastille le 14 juillet 1792.
Parmi les premiers, elle demanda l’instauration du
divorce
– le premier et seul droit conféré aux femmes par la Révolution – qui
fut adopté à l’instigation des Girondins quelques mois plus tard. Elle
demanda également la suppression du
mariage religieux, et son remplacement par une sorte de
contrat civil signé entre concubins et qui prenait en compte les enfants issus de liaisons nées d’une
«inclination particulière». C’était, à l’époque, véritablement révolutionnaire, de même lorsqu’elle militait pour la libre
recherche de la paternité et la
reconnaissance
d’enfants nés hors mariage. Elle fut aussi une des premières à
théoriser, dans ses grandes lignes, le système de protection maternelle
et infantile que nous connaissons aujourd’hui et, s’indignant de voir
les femmes accoucher dans des hôpitaux ordinaires, elle demandait la
création de maternités. Sensible à la pauvreté endémique, elle
recommandait enfin la création d’
ateliers nationaux pour les chômeurs et de
foyers pour mendiants. Toutes ces mesures préconisées
«à l’entrée du grand hive » 1788-1789 étaient considérées par Olympe de Gouges comme essentielles, ainsi qu’elle le développe dans
Une patriote persécutée, son dernier écrit avant sa mort.
La fin
En 1793, elle s’en était vivement prise à ceux qu’elle tenait pour responsables des
atrocités des 2 et 3 septembre 1792:
«le sang, même des coupables, versé avec cruauté et profusion, souille éternellement les Révolutions». Elle désignait particulièrement
Marat,
l’un des signataires de la circulaire du 3 septembre 1792, proposant
d’étendre les massacres de prisonniers dans toute la France. Soupçonnant
Robespierre d’aspirer à la
dictature, elle l’interpella dans plusieurs écrits, ce qui lui valut une dénonciation de
Bourdon de l'Oise au
club des Jacobins.
Dans ses écrits du printemps 1793, elle dénonça la montée en puissance de la dictature montagnarde, partageant l’analyse de
Vergniaud sur les dangers de dictature qui se profilait, avec la mise en place d’un
Comité de salut public, le 6 avril 1793, qui s’arrogeait le pouvoir d’envoyer les députés en prison. Après la mise en accusation du parti
girondin tout entier à la
Convention,
le 2 juin 1793, elle adressa au président de la Convention une lettre
où elle s’indignait de cette mesure attentatoire aux principes
démocratiques (9 juin 1793), mais ce courrier fut censuré en cours de
lecture. S’étant mise en contravention avec la loi de mars 1793 sur la
répression des écrits remettant en cause le principe républicain – elle
avait composé une affiche à caractère fédéraliste ou girondin sous le
titre de
Les Trois urnes ou le Salut de la patrie, par un voyageur aérien –, elle fut arrêtée par les Montagnards et déférée le 6 août 1793 devant le
tribunal révolutionnaire qui l’inculpa.
Malade des suites d’une blessure infectée à la prison de l’abbaye de
Saint-Germain-des-Prés, réclamant des soins, elle fut envoyée à
l’infirmerie de la Petite-Force, rue Pavée dans le Marais, et partagea
la cellule d’une condamnée à mort en sursis,
Mme de Kolly, qui se prétendait enceinte. En octobre suivant, elle mit ses bijoux en gage au Mont-de-Piété et obtint son transfert dans la maison de santé de
Marie-Catherine Mahay,
sorte de prison pour riches où le régime était plus libéral et où elle
eut, semble-t-il, une liaison avec un des prisonniers. Désirant se
justifier des accusations pesant contre elle, elle réclama sa mise en
jugement dans deux affiches qu’elle avait réussi à faire sortir
clandestinement de prison et à faire imprimer. Ces affiches – «Olympe
de Gouges au Tribunal révolutionnaire» et «Une patriote persécutée»,
son dernier texte – furent largement diffusées et remarquées par les
inspecteurs de police en civil qui les signalent dans leurs rapports.
Traduite au Tribunal au matin du 2 novembre, soit quarante-huit
heures après l’exécution de ses amis Girondins, elle fut interrogée
sommairement. Privée d’avocat elle se défendit avec adresse et
intelligence. Condamnée à la peine de mort pour avoir tenté de rétablir
un gouvernement autre que
« un et indivisible », elle se déclara enceinte. Les médecins consultés se montrèrent dans l’incapacité de se prononcer, mais
Fouquier-Tinville décida qu’il n’y avait pas grossesse.
Le jugement était exécutoire, et la condamnée profita des quelques
instants qui lui restaient pour écrire une ultime lettre à son fils,
laquelle fut interceptée. D’après un inspecteur de police en civil, le citoyen Prévost, présent à l’exécution, et d’après le
Journal de
Perlet ainsi que d’autres témoignages, elle monta sur l’échafaud avec courage et dignité, contrairement à ce qu’en disent au
XIXe siècle l’auteur des mémoires apocryphes de
Sanson et quelques historiens dont
Jules Michelet. Elle s'écriera, avant que la lame ne tombe :
«Enfants de la Patrie vous vengerez ma mort». Elle avait alors 45 ans.
Son fils, l’adjudant général Aubry de Gouges, par crainte d’être
inquiété, la renia publiquement dans une «profession de foi civique». Le procureur de la
Commune de Paris,
Pierre-Gaspard Chaumette, applaudissant à l’exécution de plusieurs femmes et fustigeant leur mémoire, évoque cette
«virago,
la femme-homme, l’impudente Olympe de Gouges qui la première institua
des sociétés de femmes, abandonna les soins de son ménage, voulut
politiquer et commit des crimes [...] Tous ces êtres immoraux ont été
anéantis sous le fer vengeur des lois. Et vous
voudriez les imiter? Non! Vous sentirez que vous ne serez vraiment
intéressantes et dignes d’estime que lorsque vous serez ce que la nature
a voulu que vous fussiez. Nous voulons que les femmes soient
respectées, c’est pourquoi nous les forcerons à se respecter
elles-mêmes».
Olympe de Gouges à l’échafaud